domingo, 21 de noviembre de 2010

Roca y sus parceros. (Roca et ses potes). “Libération” Francia, 11 Nov. 2010.

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Roca y sus parceros
Los versos interiores de un nativo de Medellín, ciudad de ganado y poetas

JUAN MANUEL ROCA Los ladrones nocturnos
Traducido del español (Colombia) por François-Michel Durazzo. Myriam Solal, 79 páginas, 19€

De la madurez, Juan Manuel Roca, 63 años, escribió: “Palabra que se enuncia con cierto énfasis y mucha solemnidad, cuando se tiene más amigos en las tumbas que en los bares.” Ensombrerado, amante de compartir una copa entre conversaciones, dotado de una cabeza de hombre orlada por la experiencia y y un humor cáustico, uno de los poetas más interiores de Colombia resulta radicalmente desprovisto de solemnidad. Algo de astuto evoca Ulises, siempre encontrando su isla y sus viejos parceros: “Es notable la gloria de Nadie: no tuvo antepasados bajo el sol, bajo la lluvia, no tiene raigambre en Oriente ni Occidente. Ni hijo de Nadie, ni nieto de Nadie, ni padre de Nadie, pequeño cónsul del olvido.”

Nació en Medellín, que era un lugar más rural que urbano. Aun había ladrones de ganado, el río no había muerto por contaminacion, los pájaros migratorios aterrizaban en su valle. Un tío, Luis Vidales, muy marcado por la poesía francesa, dio inicio a la vanguardia escribiendo un libro, Suenan Timbres, cuando apenas se iniciaba el surrealismo europeo. A su sobrino, le leía a François Villon, a Rimbaud y sobre todo al peruano César Vallejo. Los dos últimos se convirtieron en los robles a la sombra de los cuales escribió su galope mental: “Yo tuve un caballo. Era su crin espesa./ Sus ojos diurnos en la noche./ Yo tuve un caballo antes de nombrar espejo en casa de ciego.”

Luego anduvo por Cuba. Escribió dos crónicas sobre el cementerio de la Habana y el de Père-Lachaise. Luego de abandonar sus estudios de filosofía, manejó una librería en Medellín y dirigió una galería de arte en Bogotá. Tiene algo de bohemio sin postura. Empezó por escribir cuentos, pero rápidamente “entendí que quería más cantar que contar”. Sus poemas son austeros, también marcados por el sentido aforístico de René Char y los fantasmas de Juan Rulfo, “el contador con el voltaje más poético de nuestro continente, que sinembargo nunca abandonó el lenguaje hablado”: “yo me siento, literariamente, más nativo de Comala que de Macondo.” Leer a Vallejo le enseñó “que la poesía no es una acumulación de sentimientos sino una traducción de uno hacia los otros. Es la posibilidad de crear máscaras, de tomar distancia de una poesía confesional”.
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Vallejo escribió maravillosos poemas sobre la guerra de España. El anarquismo español es para Roca “uno de los momentos gloriosos de la historia humana”. La poesía perpetúa la esencia de este momento. Como éste, actúa en tiempos de penuria, “porque si la poesia no tuviera razon de existir durante los tiempos miserables, entonces jamas hubiera existido, ya que todos los tiempos de la historia han sido de penuria”. Sobre su país, recuerda una cita del colombiano José Eustasio Rivera, autor de La Vorágine: “jugué mi corazón al azar y se me lo ganó la violencia.” Comentario: “En Colombia, la guerra siempre viene después de la postguerra. Nuestros poetas nacen como hijos de la violencia, aún si no la mencionan. Los colombianos estamos divididos entre la realidad y el deseo. Se trata de un país duro pero dionisíaco, donde podemos encontrar en una esquina el beso o el cuchillo. Los mejores chistes se cuentan en los velorios.”
Ph.L.
Periódico “Libération” Francia, edición del 11 de noviembre del 2010.

Traducción: Gregory Tricoire.
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Livres 11/11/2010 à 00h00
Roca et ses potes
Critique
Les vers intérieurs d’un natif de Medellín, ville de bétail et de poètes
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Par PHILIPPE LANÇON
Juan Manuel Roca Voleur de nuit
Traduit de l’espagnol (Colombie) par François-Michel Durazzo. Myriam Solal, 79 pp., 14 €.
http://www.liberation.fr/livres/01012301556-roca-et-ses-potes
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De la maturité, Juan Manuel Roca, 64 ans, a écrit un jour : «Parole qui s’énonce, avec une certaine emphase et beaucoup de solennité, quand on a plus d’amis dans la tombe que dans les bars.» Coiffé d’un chapeau, amateur d’eau-de-vie et de conversations, doué d’une tête d’homme ourlée par l’expérience et comme encaustiquée d’humour, l’un des poètes les plus intérieurs de Colombie semble radicalement dépourvu de solennité. Quelque chose de rusé évoque Ulysse retrouvant toujours son île et ses vieux potes : «La gloire de Personne est remarquable: il n’a pas eu/ d’ancêtre sous le soleil, sous la pluie, il n’a de racines ni en/ Orient ni en Occident. N’est ni fils de Personne, ni petit-fils/ de Personne, ni père de Personne, petit consul de l’oubli.»
Il est né à Medellín, un lieu alors plus rural qu’urbain. Il y avait des voleurs de bétail, la rivière n’était pas morte d’être polluée, des oiseaux migrateurs se déposaient sur la vallée. Un oncle, Luis Vidales, très marqué par la poésie française, lança ici l’avant-garde en écrivant son livre-manifeste quatre ans avant celui du surréalisme. A son neveu, il lisait François Villon, Rimbaud et César Vallejo. Les deux derniers restent les chênes à l’ombre desquels il a écrit son galop mental : «J’avais un cheval. Il avait le crin dru./ Des yeux diurnes dans la nuit./ J’avais un cheval avant de dire miroir.»
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Son père était diplomate. Ils vécurent à Paris, à Madrid. Plus tard, on l’a vu à Cuba. Il a écrit des textes sur les cimetières de La Havane, du Père-Lachaise. Après des études de philosophie, il a tenu une librairie à Medellín, ouvert une galerie d’art à Bogotá. Il a quelque chose de la bohème sans la posture. Il commence par écrire des nouvelles, mais, assez vite, «j’ai compris que je voulais plus chanter que conter». Ses poèmes sont austères, également marqués par le sens aphoristique de René Char et les revenants de Juan Rulfo, «le conteur le plus poétique de notre continent, parce qu’il n’abandonne jamais le langage parlé» : «Je me sens beaucoup plus citoyen de Comala que de Macondo.» Lire Vallejo lui a appris «que la poésie n’est pas une accumulation de sentiments, mais une traduction de soi vers les autres. C’est la possibilité de créer des masques, une distance».
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Vallejo a écrit sur la guerre d’Espagne de merveilleux poèmes. L’anarchisme espagnol est pour Roca «l’un des moments glorieux de l’histoire humaine». La poésie perpétue l’essence de ce moment. Comme lui, elle agit par temps de pénurie, «car si elle n’existe pas dans ce temps-là, alors elle n’existe pas, puisque la pénurie est au cœur de la vie». Sur son pays, il rappelle une phrase du colombien José Eustachio Rivera, l’auteur de la Voragine : «J’ai joué mon cœur au hasard, et j’ai récolté la violence.» Commentaire : «En Colombie, la guerre vient toujours après l’après-guerre. Les meilleurs poètes naissent comme enfants de la violence, même s’ils n’en parlent pas. Les Colombiens sont très divisés entre la réalité, cruelle, épouvantable, et le désir éperdu d’aimer. C’est le pays sauvage, dionysiaque, où l’on peut rencontrer au coin de la rue le baiser, la farce critique et le coup de couteau. Les meilleures blagues s’y racontent dans les funérariums.»